Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Vénérable Isabelle de Séville

 

La Vénérable Sœur ISABELLE DE NOTRE-SEIGNEUR
professe du monastère de Séville
(1604)

La sainte religieuse, issue d'une noble famille de Séville, fut placée à l'âge de cinq ans au monastère des Dominicaines de la Mère de Dieu, dans la même ville, avec deux autres sœurs plus âgées qu'elle. Tout aussitôt elle revêtit les blanches livrées de l'Ordre.
Etranger à toute affection mondaine, son esprit restait imperturbablement uni à Dieu. Pour mieux fermer aux créatures et aux intrigues séculières toutes les issues de son cœur, elle se fit une loi très stricte de ne jamais paraître à la grille : ce qu'elle observa avec une rare énergie, même vis-à-vis de ses plus proches parents. Le rayonnement de sa modestie jetait autour d'elle un vif éclat et inspirait la ferveur. On oubliait sa jeunesse, pour se laisser subjuguer par le bon exemple de ses vertus précoces.
Non moins ardente dans l'exercice de l'oraison que dans la pratique des observances extérieures, Sœur Isabelle consacrait à la prière de longues heures du jour et de la nuit. Le soir, après Complies, elle restait dans sa stalle en adoration devant le Très Saint Sacrement. Puis elle prenait un court repos, et au son des Matines, se retrouvait la première au chœur pour la divine psalmodie. Ensuite elle reprenait son pieux commerce avec Dieu, et ne sortait de sa place qu'après avoir assisté à la dernière messe célébrée dans l'église du monastère. Quelles que fussent ses occupations, jamais elle ne s'absenta d'aucun exercice choral. Si la maladie la retenait à l'infirmerie, au premier indice d'amélioration, elle se levait incontinent et accourait toute joyeuse au milieu de ses Sœurs, ne pouvant mieux, disait-elle, avancer sa convalescence que dans la douce compagnie de son bien-aimé Jésus. Fait digne de remarque: ses prières prolongées, son assistance assidue aux offices choraux n'entravaient aucunement les fonctions qui lui étaient confiées. Tant il est vrai qu'une âme foncièrement éprise de l'amour de Dieu et du prochain, puise dans cet amour même des flammes d'activité, qui lui font faire en une heure ce que d'autres moins fervents auraient peine à fournir en une journée! On tenait comme miraculeux que l'épouse du Christ déployât en toute occasion la diligence de Marthe, alors qu'elle venait si fréquemment s'asseoir aux pieds du Maître, avec Marie. En effet, outre les soins minutieux que réclamait de sa charité l'état d'une tante, âgée et infirme, dont elle seule avait la charge, Isabelle trouvait moyen d'entretenir la chapelle du Saint-Sacrement, d'orner les autels, de blanchir les linges sacrés, de confectionner des fleurs, de satisfaire, en un mot, à mille travaux délicats. Après sa mort, il fallut quatre religieuses pour fournir la même tâche. De plus, elle allait tous les jours visiter l'infirmerie, prodiguait aux Sœurs malades les attentions les plus empressées, pourvoyait elle-même à l'entretien de leur vestiaire, et, au besoin, venait encore prêter la main aux officières, dans leurs emplois respectifs.


A un tel esprit d'abnégation, la servante de Dieu joignait une sainte passion pour tous les points de la Règle. Pauvre d'esprit et de cœur, elle ne voulait avoir rien en propre, et mettait en commun, pour le soulagement de ses compagnes nécessiteuses, les aumônes ou les dons que sa famille lui envoyait.
Sa dévotion au Très Saint Sacrement n'avait point de bornes. Isabelle s'approchait de la sainte table le plus souvent possible et toujours avec une préparation vraiment angélique et une grande abondance de larmes. Amie du silence, elle vivait dans un état continuel de recueillement et de retraite. Quand par bienséance ou charité il lui fallait prendre la parole, elle le faisait en d'admirables entretiens sur Dieu et les choses spirituelles; encore que son humilité la retînt, en lui suggérant qu'une ignorante comme elle n'avait pas à aborder des matières si relevées, et que tout son rôle était d'écouter.
Et cependant, elle ne manquait ni d'aptitude, ni d'intelligence. Très adroite dans les travaux d'aiguille et de tapisserie, elle savait en outre s'ingénier avec un vrai succès, afin de préparer des décorations de bon goût. C'est ainsi qu'une année pour la fête du Saint-Sacrement, elle fit dresser un splendide autel, surmonté d'un crucifix grandiose dont les plaies vermeilles répandaient un sang abondant: au-dessous, de petites brebis réunies en grand nombre se désaltéraient doucement au sang de l'Agneau divin. Une longue banderole se déroulait autour du crucifix, portant ces mots: Ecce quomodo amabat eas. — «Voyez comme il les a aimées!»
C'était la coutume de la pieuse Sœur de citer, avec beaucoup d'à-propos, à l'une ou l'autre de ses compagnes qu'elle voyait fléchir dans la ferveur, des sentences tirées pour la plupart de la Sainte Ecriture, et jamais elle ne le fit sans fruit.
A Noël, elle préparait avec beaucoup d'industrie, dans une salle voisine du chœur, une crèche avec ses personnages traditionnels. Après l'office, elle invitait les Sœurs à venir visiter cette crèche, et par les actes de piété qu'elle leur suggérait, elle leur apprenait à parfumer de l'encens de leur dévotion et de leur amour la pauvre grotte si incommode, que le divin Enfant avait choisie en venant au milieu des siens.
Il y avait au chœur un tableau représentant Notre Seigneur servi par les anges après sa retraite au désert et son jeûne de quarante jours. Sœur Isabelle passait à ses pieds de longues heures dans un profond recueillement, et multipliait devant ce tableau ses dévotions particulières, principalement au temps de l'Epiphanie et du Carême. Rien n'égalait son bonheur, avouait-elle à ce propos, quand, libre de toute autre occupation, elle pouvait ainsi épancher son âme et converser sans interruption, seul à seul avec son Bien-Aimé.

III. —Elle fut gratifiée du don de prophétie, connut les choses les plus secrètes et les événements les plus éloignés. Une de ses compagnes, par scrupule de conscience, n'osait communier. Sœur Isabelle a révélation de son trouble et quand elle se fut présentée à la sainte table, elle s'approche de cette Sœur et l'invite à faire comme elle. — « Ce n'est pas mon intention aujourd'hui » répond la pauvre religieuse. — « Allez quand même, reprend Isabelle, et vous verrez tous vos doutes et vos scrupules s'évanouir sur-le-champ. » La Sœur obéit et s'en trouva très bien.
La servante de Dieu connaissait de la même manière les désirs des Sœurs malades, sans qu'il fût besoin de sa présence près d'elles. Il suffisait qu'elles souhaitassent tel ou tel soulagement : aussitôt, avant qu'elles eussent exprimé leur désir, Isabelle se mettait en devoir de les satisfaire.
Mais la faveur la plus signalée que la pieuse Sœur reçut du ciel, fut celle que nous allons raconter. Elle assistait un jour une de ses compagnes agonisante.
« Oh! se prit-elle à dire, écoutez l'humble requête que j'adresse à votre religieuse charité ; bientôt vous serez devant Dieu ; demandez-lui, je vous prie, qu'il me retire au plus tôt de cette vallée de misères et de larmes. »
— « Non, reprit la mourante; cela ne convient pas pour le moment ; vous êtes jeune ; vous avez à fournir une plus longue carrière ! »
La Vénérable Sœur, très peinée de cette réponse, se rendit au chœur pour épancher son âme devant Dieu. Tout à coup une voix intérieure se fit entendre pour calmer ses craintes et l'assurer que son salut éternel ne courait aucun risque. Elle se releva toute joyeuse, revint auprès de la malade et lui raconta ce qui venait de se passer. Cette dernière touchant à son terme, notre Sœur pensa qu'elle pouvait, sans craindre d'indiscrétion, lui faire cette confidence intime. Mais Dieu, qui désirait que la grâce fût connue, permit que la moribonde en parlât à une de ses amies : et celle-ci ayant survécu à Isabelle divulgua, à la mort de cette dernière, le secret qu'elle avait gardé jusque-là.
Une douloureuse maladie, supportée avec une grande patience, ouvrit les portes de l'éternel séjour à la vénérée et sainte Religieuse, le 12 novembre 1604. Si grande était sa joie de mourir, qu'elle accueillit au chant du Te Deum la parole du médecin, lui déclarant qu'elle n'en reviendrait pas. Au moment où elle rendait le dernier soupir, un céleste parfum s'exhala de son corps et imprégna ses vêtements, dont les lambeaux, distribués comme des reliques, devinrent l'instrument de nombreuses grâces miraculeuses. Entre diverses faveurs dont bénéficia le monastère, de la part de celle qui l'avait embaumé de la bonne odeur de ses vertus, relevons la suivante. La provision d'huile pour l'usage de la maison étant complètement épuisée et les ressources manquant pour la renouveler, la Mère Procureuse vint confier son embarras à sœur Isabelle, décédée depuis peu. Elle lui adresse une fervente prière et se rend au dépôt pour nettoyer les vases maintenant vides. Grand fut son étonnement de les trouver remplis jusqu'au bord d'une huile de qualité bien supérieure à ce qu'on avait eu jusqu'ici. Le fait eut du retentissement dans la ville et l'huile miraculeuse opéra de nombreuses guérisons.
Les fidèles de la contrée, conclut l'auteur que nous suivons, ont grande foi dans les mérites de la servante de Dieu pour obtenir les grâces qu'ils sollicitent par sa puissante intervention.

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